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TH n°106 LE VERBE ET LA VOIX. LA MANIFESTATION VOCALE DANS LE CULTE EN FRANCE AU 17ÈME SIÈCLE

TH n°106 LE VERBE ET LA VOIX. LA MANIFESTATION VOCALE DANS LE CULTE EN FRANCE AU 17ÈME SIÈCLE

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Date d'ajout : jeudi 05 novembre 2015

par Marc VENARD

REVUE : REVUE MABILLON, 10, 1999

Ce livre très riche et très neuf est en même temps assez déconcertant. Car l'usage de la voix, même limité au champ religieux, nous entraîne dans toutes sortes de directions : de la prière vocale au silence méditatif, du « gémissement » mystique à la prédication, de la parole sacramentelle au chant liturgique ; et il en délaisse d'autres qui auraient mérité d'avoir leur place, comme les cantiques, qui jouaient un grand rôle dans les missions populaires. d'autre part, le XVIIe siècle dont il est question est un XVIIe siècle tardif, on ne s'aventure guère dans sa première moitié ; ce qui correspond peut-être à un choix de l'auteur, qui s'appuie surtout sur les témoins de la génération de Port-Royal (après Pascal) et de Madame Guyon, mais a laissé de côté les Jésuites : il est vrai qu'une note, p. 446, nous dit que ceux-ci faisaient peu de part au chant dans leurs collèges, mais peut-on en rester là ? En réalité, M. Brûlin trahit son parti-pris en écrivant (p. 465) : « L'homme du XVIIe siècle, augustinien… » Qui peut dire qu'il a rencontré et sondé « l'homme du XVIIe siècle » ? Livre déconcertant aussi par son plan assez lâche : des chapitres consacrés à un seul auteur alternent avec de gros chapitres fourmillant d'idées ; l'écriture jargonne parfois, en abusant des néologismes, et trop de verbes ne sont pas accordés ; enfin, il manque une conclusion.
Il est temps de venir à ce qui fait la richesse et la nouveauté de ce livre qui fut présenté comme une thèse de théologie, mais qui aurait pu tout aussi bien compter comme thèse de lettres, d'histoire ou de musicologie.
Les premiers chapitres sont consacrés à la prière vocale qui, peut-être aurait-il été bon de le noter, est aussi la prière inscrite en formules. L'auteur étudie la place qui lui est faite dans les manuels de catéchisme, à l'époque où chaque diocèse veut avoir le sien : jansénistes ou molinistes, tous la recommandent sur les mêmes arguments : la prière vocale est la prière collective de l'Église, et elle a pour modèle le Notre Père. Ce sont les mêmes propos qu'on entend chez les liturgistes, Louis Thomassin en particulier (Traité de l'Office divin, 1686), qui doivent néanmoins expliquer pourquoi le canon de la messe se dit à voix basse et pourquoi certaines exclamations, Alleluia, Amen, se font dans la langue hébraïque. Mais, à l'époque, un des grands dangers que craignent les théoriciens de la prière vocale, c'est l'utilisation superstitieuse ou magique des formules pieuses (ce que connaissent bien tous ceux qui ont fréquenté les procès de « sorcellerie », Pierre Nicole, dans son Traité de la prière (1695), se bat sur deux fronts : contre cet usage superstitieux de la prière et contre les illusions de « l'oraison passive » chère aux mystiques ; comme le dit très bien notre auteur, il « cherche à promouvoir un discours intelligible, une prière recevable, éthique, qui sait ce qu'elle dit et se laisse saisir par ce qu'elle dit ». Mais il admet que la prière vocale est une voie vers l'oraison mentale. Il me semble que c'est l'héritage que nous avons reçu.
Retour à l'opposition prière vocale/prière mentale à travers les Dictionnaires de la fin du XVIIe siècle, la Logique de Port-Royal et le Traité sur la prière publique de Duguet. Ces ouvrages ne nous apprennent pas grand-chose de plus, ce qui n'est pas surprenant puisqu'ils viennent du même horizon. Une des questions clés concerne la récitation de l'office par les religieuses, puisqu'il est entendu qu'elles ne savent pas le latin. Finissent-elles néanmoins par comprendre le sens des psaumes qu'elles récitent ? Les témoins vantent la manière attentive et intelligente avec laquelle les religieuses de Port-Royal chantaient ou récitaient l'office en latin.
Mais n'est-ce pas le silence qui est la meilleure des prières ? Les chapitres suivants de M. Brûlin nous entraînent dans la voie du mysticisme, représenté bien sûr au premier rang par Mme Guyon et Fénelon, mais où l'on trouve aussi des personnages moins connus, comme Mectilde de Bar et François Guilloré, et des critiques, comme Bossuet. Aucun ne bannit la prière vocale. Mais quand, par exemple, Mme Guyon considère la récitation du Notre Père comme un accès à la jouissance silencieuse de la présence de Dieu, Bossuet y voit le résumé de tout le dessein de Dieu incarné. Méfions-nous cependant des classifications simplistes. M. Brûlin cite de très beaux passages de Nicole et de Bossuet sur la présence de Dieu et le silence. Toutefois, son chapitre VI, «  Soupirs, gémissements, jubilation », qui apparaît comme le chapitre central du livre, est particulièrement embrouillé dans son plan. On y passe des formes vocales élémentaires de la prière (avec un très bon développement sur les ô de la prière liturgique) à l'oraison visionnaire, puis au motet musical (dont la liberté formelle s'oppose au grégorien liturgique), puis au problème de l'office chanté, aux prières à dire pendant la messe, aux oraisons jaculatoires et aux litanies. En somme, presque tout ce qui fait l'objet du livre est ici rassemblé. Mais c'est alors que le lecteur est tenté de relever les manques : les cantiques populaires, déjà évoqués, et plus encore la récitation du rosaire comme école d'oraison pour les simples gens.
Passé ce chapitre central, les derniers portent essentiellement sur l'office divin et sur son accompagnement musical. Quant à l'office, les théoriciens ne sont pas en manque d'adverbes : il doit être récité (ou chanté) « rondement », « dévotement », « gravement », « modestement », etc. C'est en s'efforçant de donner un contenu à ces exigences que notre auteur se laisse entraîner sans le vouloir dans les (bavardes) théories du XVIIe siècle sur l'art oratoire. A propos du chant liturgique d'église, on notera les hésitations concernant le chant par les femmes, et les mises en garde contre l'attrait émotionnel des Leçons de ténèbres (dont le succès auprès des mélomanes ne s'est pas démenti). Fidèle à sa méthode, M. Brûlin met en avant un théoricien de l'impression musicale, Jean-Louis Le Cerf de la Vieuville (1674-1707) : ses vues sont sages, mais un peu courtes sur ce qui doit caractériser une musique religieuse. Plus intéressantes sont les innovations de cette fin de siècle, quand Du Mont et Guillaume-Gabriel adaptent le grégorien (l'un pour la majesté royale, l'autre pour les voix féminines), et que les Oratoriens mettent des paroles pieuses sur des airs profanes. Mais où sont passés les Théatins, dont le succès scandalisait les rigoristes ? Les bons connaisseurs liront aussi avec intérêt le chapitre qui met en rapport la restitution du plain-chant grégorien avec la réforme des ordres religieux : c'est en quelque sorte Solesmes deux cents ans plus tôt.
Le dernier chapitre, sur « la théologalité de la voix », est moins une conclusion qu'une évocation d'autres pistes à explorer : la parole sacramentelle, les énoncés de foi, la Parole qui révèle, etc. On ne peut qu'encourager l'auteur à s'y lancer, elle a pour cela les compétences pluridisciplinaires et, surtout, la sensibilité. Puisque je lui ai reproché de n'avoir guère présenté qu'un XVIIe siècle tardif, je reviendrai pour finir, et avec elle, à saint François de Sales (p. 465) : ayant entendu, dans un monastère féminin de Milan, une religieuse dont la voix était « admirablement délicieuse » et « qui répandait plus de suavité » dans l'esprit des personnes présentes que tout le reste du chœur, qui était cependant excellent, l'évêque de Genève compare cette voix à celle de la sainte Vierge qui « relevée au-dessus de tout, rend plus de louange à Dieu que tout le reste des créatures ». Mais si parfaites soient-elles, ces louanges n'égalent pas la perfection de Dieu. Seul, Celui-ci peut en inspirer à l'âme, et alors « l'esprit arrive en un lieu de silence, car nous ne savons plus faire autre chose qu'admirer ».


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